https://recenmus.sciencesconf.org/browse/author?authorid=835772
La proposition concerne une recherche en art, ciblée vers l’écologie sonore, à partir du constat suivant : il est quasiment impossible d’écouter un oiseau chanter ou une goutte d’eau tomber, sans que le son ne soit parasité par une multitude d’autres sons environnants. La question d’écologie profonde interroge la notion de silence, dont les artistes sonores des années 1950-70 comme Cage, Ono ou Neuhaus se sont emparés. Partant de cette généalogie, le travail artistique et théorique s’oriente vers la pollution sonore et sa possible énonciation en paysage imaginaire.
Du dénoncer à l’énoncé s’intéresse au glissement artistique qui se produit entre le montrer et le dire, et ceci en interaction avec une problématique environnementale.
Dans cette recherche, le dénoncer est compris comme une notification brute, un montré sans arrangement formel, tandis que l’énoncé est le résultat de l’élaboration d’une signification, un dit construit. Passer du dénoncer en tant que notification à l’énoncé en tant qu’expression implique un travail sur la forme en vue de construire du sens. C’est un élargissement à la création sonore de certaines théories sémio-phénoménologiques du langage sur l’énonciation.
Constater la pollution sonore engage à dénoncer certains sons qui nous envahissent à notre insu, qu’on nous impose, et qui s’opposent à notre écoute claire selon Murray Schafer. Il s’agit donc d’explorer des sons anthropophoniques de la mécanosphère : les isoler pour les archiver en base de données web, dans une attitude dénonciatrice des dégâts sonores liés à l’activité humaine.
Les sons archivés sur le site montrent un état des lieux subjectif d’environnement sonore urbain, enregistré au hasard de parcours piétons. La subjectivité intervient dans le choix des sons et la façon proche de les enregistrer. Le choix de capter tel ou tel son est motivé par le désir de mettre en évidence la présence envahissante d’infimes vibrations, que seule une oreille attentive peut percevoir.
Ces sons attachiants nous suggèrent à la fois goût et dégoût, par leur substance souvent riche, agglomérée à leur dimension sémio-phénoménologique liée à la pollution. Leur infime intensité à laquelle s’ajoute notre habituation auditive les rend inaudibles à notre perception, tandis que la lutte contre le bruit se limite à des aspects quantitatifs. Ceci explique un tel engagement de sensibilisation aux bruits de faible intensité.
Une fois que cette dénonciation rigoureuse – sans autre mise en forme qu’une banque de sons listée ou cartographiée – est définie, se pose la question de l’énonciation d’un paysage sonore urbain imaginaire, basé sur un réel acoustique.
Il s’agit de composer, c’est-à -dire d’énoncer avec une mise en forme articulée, les sons archivés sur le site web, en s’intéressant à leur substance singulière, de façon matiériste. Ceci confère à ces sons-déchets un statut ontologique, et situe la création dans la lignée d’une esthétique du rejet. Enfin, la spatialisation symbolique des sons, déterminée à partir de la cartographie des archives sonores, est un paramètre de composition spatio-temporelle.
Composer et spatialiser implique une posture du « dire » subjectif, qui cherche à passer du monde des sons – « montré » par les captations archivées sur le site – à un monde [dit] par les sons (Barbanti in Solomos et al. 2016, 235). L’énonciation est ainsi comprise ici comme une articulation imaginaire libre (Lopez, 1998), et relève de l’idée de paysage « [sans] oublier que le paysage est construction, composition, et donc artefact » (Chenet-Faugeras, 1994, p. 27). L’engagement rejoint un certain activisme qui cherche à « renforcer la conscience environnementale et sociale » pour « favoriser les changements dans les pratiques sociales et culturelles » (Polli, 2012). Cet activisme s’inspire de Joseph Beuys qui, avec le terme de « sculpture sociale », définit l’art comme un processus de pensée, de parole, de discussion et d'action politique et environnementale.
Toute la difficulté éthique de cette énonciation poétique réside dans un effort de sincérité permanent pour ne pas d’une part esthétiser de manière à rendre l’énonciation artificiellement agréable, ni d’autre part la présenter de façon catastrophique. Ceci renvoie à la théorie du jeu de Bateson qui souligne la possibilité de menace, de parade et de tromperie dans le jeu de la communication. Il s’agit de tendre vers un neutre barthien, en considérant cet objectif comme une règle du jeu.
Quelle que soit l’approche adoptée, ce qu’on appelle « énoncer » semble être finalement le fait de jouer d’une règle au sein d’un processus, […] s’en servir dans le sens plein du terme : l’invoquer et la plier, l’adapter et la contourner. (Tore, 2016, p. 445)