CAROLINE BOË
Compositrice - Artiste sonore - Artiste-chercheuse

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Workshop Archives et Création : Soundscape Welcome to Mars

12 juin 2025
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ARCHIVES ET CRÉATION :
Workshop de recherche et de recherche-création


Organisé par
Christine Esclapez et
Luis Velasco-Pufleau


Présentation du paysage sonore composé Welcome to Mars

 

12 juin 2025, 14h-18h - 13 juin 2025, 9h30-17h
GMEM - Friche la Belle de Mai - 41 Rue Jobin 13003 Marseille

 

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Ma logique relève de l’écosophie sonore, qui est une nouvelle discipline en émergence, ouverte par le philosophe Roberto Barbanti avec la publication de son livre Les sonorités du monde, de l’écologie sonore à l’écosophie sonore.

Barbanti circonscrit ainsi l’écosophie sonore :

« Les sonorités du monde, voici la question dont il faut s'occuper aujourd'hui. Nous avons regardé, observé, théorisé… le monde, rarement nous l'avons écouté. Il est maintenant nécessaire de l'entendre. Il ne s'agit pas seulement de lutter contre les nuisances et les pollutions sonores qui envahissent les espaces du dehors et ceux de l'intériorité. La vraie question est celle d'écouter, comprendre et vouloir autrement. Un processus complexe qui nous met face à nous-mêmes et aux « Autres ». […]
Un nouveau matérialisme esthétique (aisthésis), du sentir et de l'écoute, est nécessaire. Voici les vibrations complexes qui composent l'écosophie sonore et qui départagent l'écoute instrumentalisée de l'assujettissement de celle, affranchissante, de l'émancipation. Â» (Barbanti, 2023).

 

L’idée, dans mes compositions, est d’adopter le principe de l’upcycling, de surcycler ces déchets sonores selon la philosophie de Dagognet.

J’utilise le terme de surcycler plutôt que celui de recycler car dans le recyclage, on détruit l’objet pour en récupérer la matière et en former un autre.Dans le surcyclage, il s’agit d’une réutilisation sans destruction, d’une rénovation del’objet qui peut, ou pas, être utilisé pour une autre fonction que celle d’origine.

 

 

 

 

 


Nous ne nous contentons pas d’envahir l’environnement sonore de la terre, de la mer, de l’atmosphère, nous déposons aussi notre empreinte sonore (comme dirait Schafer) sur d’autres planètes, notamment sur Mars, à 225 millions de Km ! Ã‡a me donne le vertige !

Et puis j’ai pensé aussi au projet audacieux d’Elon Musk, pour coloniser Mars, avec un atterrissage humain d’ici la fin de la décennie (Decourt, 2025).  

Alors j’ai imaginé une fiction sonore qui raconte l’arrivée de voyageurs sur Mars, dans une sorte de bulle géante d’atmosphère respirable, avec beaucoup de gens, beaucoup de machines. Ce dôme, à l’image de ceux construits dans les center-parcs, circonscrit l’espace du paysage sonore.

Cette composition relève donc de la fiction, narrative et dystopique.

Le genre est hybride : électroacoustique, concret (P.Schaeffer, 1967), paysage sonore (M. Schafer), inspiré par les bruiteurs de cinéma et le sound-design.

L’intention est de communiquer une prise de conscience écologique (Truax, 1984)(Westerkamp, 2002).

Les sons technophoniques proviennent de la sonothèque anthropophony.org, et sont mis en scène, surcyclés selon le principe de l’upcycling, de façon décontextualisée : le son d’une machine en évoque une autre. C’est une sorte de schizophonie comme dirait Schafer (Schafer, 1977) et de schizotopie comme dirait Florent Caron Darras (Caron Darras, 2022).

Dans cette fiction, des haut-parleurs diffusent de faux sons naturels comme des oiseaux, insectes et des gouttes d’eau afin de rassurer les colons. À cet effet, j’ai créé des succédanés de sons biophoniques et géophoniques. Cette mise en scène formule une critique de l’intelligence artificielle et de la synthèse sonore qui peuvent être défaillantes lorsqu’elle sont mises à l’épreuve du vivant.

Enfin, j’ai mis en scène une forte densité de population, une communauté acoustique qui, dans cet imaginaire dystopique, subirait les nuisances sonores et serait ainsi collectivement concernée par l’écosophie sonore (Barbanti, 2023) et l’acoustémologie (Feld, 2023); c’est une sorte de mise en abîme. Cette mise en scène sonore nous invite à « Ã‰couter écouter Â» comme le dirait Peter Szendy, à chercher « l'empreinte de l'écoute de l'autre Â». (Szendy, 2011)

Comme chaque son issu de la sonothèque a une histoire, j’ai eu envie de vous en dire un peu plus sur la relation que j’entretiens avec les sons choisis. Je me réfère ici à la citation suivante de Westerkamp :

« Les matériaux enregistrés sont bien sûr importants, mais les expériences d'écoute, pendant l'enregistrement et dans la vie quotidienne, le sont tout autant, et interviennent toujours d'une manière ou d'une autre dans le processus de composition. Â» ( Westerkamp, 2002, p. 53)

•       Mon Lave-linge est situé à proximité de mon bureau et il m’a souvent embarqué loin dans les nuages.

•       La Rôtissoire professionnelle du Roi du Poulet, peut rôtir jusqu’à 60 poulets immergés dans un grincement qui résonne à une centaine de mètres. Je me suis demandé si ce grincement, puissant, était l’incarnation de la voix des poulets pleurant dans leur chambre à gaz ?

•       La composition est scandée par de nombreuses Alarmes, captées dans l’espace public ici ou là. Ces signaux sonores sont utiles, dit-on. Il y a même des designers-sonore qui les inventent et des ingénieurs qui programment leur apparition et leur disparition.

•       Un Photomaton souffle. C’est une machine un peu anachronique dans laquelle on est obligé de passer pour refaire ses papiers d’identité. C’est le son du sourire interdit, du regard fixe correctement calibré, du visage sans lunettes ni cheveux.

•       Il y a Plusieurs Escalators, dont la rythmicité et la résonnance pourraient sans doute nous mettre en transe, si les trajets duraient des heures. Changement d’altitude, transition entre deux espaces superposés, l’escalator est un avancement. On râle lorsqu’il est en panne.

•       Des Réfrigérateurs, des congélateurs industriels qui, pour moi restent associés à la balade #Hyperfrais que j’avais performée dans un hypermarché Casino Géant, juste avant la faillite de ce groupe de la grande distribution. Ces sons de frigos Casino ont aujourd’hui disparu, ils sont enfouis dans une strate archéologique, témoignage sonore de ce modèle économique disparu.

•       Des Ventilations, extracteurs d’émanations, climatisations – ceux-là n’ont pas disparu, bien au contraire, ils se multiplient dans un cercle vicieux : plus le réchauffement climatique devient difficile à vivre, plus on multiplie les machines de rafraichissement, plus on produit de gaz à effets de serre et la boucle ne boucle pas, mais se développe en spirale.

•       Des Transformateurs de Haute tension électrique. Ces transformateurs de puissance sont essentiels dans l’exploitation électrique. On les trouve à tous les coins de rue, y compris au fin fond de la campagne, au bord d’un chemin de terre, dès lors qu’une maison est alimentée en électricité. On en trouve notamment dans le parc naturel des calanques !

•       Des Métros, des trains, des avions ! Le transport par avion est en pleine expansion, malgré les constatations écologiques liées à l’expérience du confinement. Je connais une personne, ici présente, qui adore les écouter passer. Pour moi, ils parasitent mon espace sonore, ils gâchent ma jouissance du paysage sonore. Quand j'entends un avion, j'entends le réchauffement climatique : j'entends les incendies et les inondations, les famines et les guerres qui y sont lié.

•       Des Interphones en panne. J’en croise souvent, en balade urbaine. Ceux-là, je les déteste carrément parce que non seulement ils sont fort et font mal aux oreilles, mais en plus ils signifient à la fois le dysfonctionnement et le dispositif sécuritaire.

•       Un Nébuliseur d’hôpital. Ce son est particulièrement désagréable, strident, tenace. Il est infligé à des personnes malades qui n’ont pas d’autre choix si elles veulent respirer. Le paysage sonore dans ce cas ajoute une surenchère à la souffrance des patientes et des patients, mais aussi des soignantes et des soignants.

 

 

 


Bibliographie

Arnoux, Q. (2021). Écouter l’Anthropocène. Pour une écologie et une éthique des paysages sonores. Le bord de l’eau. https://www.decitre.fr/livres/ecouter-l-anthropocene-9782356877840.html

Barbanti, R. (2023). Les sonorités du monde ; De l’écologie sonore à l’écosophie sonore. Les Presses du réel.

Cage, J. (avec Wellesley College Library). (1961). Silence : Lectures and writings. Wesleyan University Press. http://archive.org/details/silencelecturesw1961cage

Caron Darras, F. (2022). Localités fendues : La technologie comme vecteur de transindividuation dans la pratique du field recording. Revue Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société, 26. https://revues.mshparisnord.fr/filigrane/index.php?id=1134

Dagognet, F. (1997). Des détritus, des déchets, de l’abject : Une philosophie écologique. Institut Synthélabo.

Decourt, R. (2025, juin 2). Elon Musk révèle son plan pour la colonisation de Mars et le site choisi pour la première ville ! Futura. https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/exploration-martienne-elon-musk-fourni-nouveaux-details-son-projet-colonisation-mars-122442/

Duchamp, M. (1999). Notes. Flammarion.

Feld, S. (2023). La recherche comme composition (M. De Ruyter, Trad.). In J. Larcher & D. Mottier (Éds.), La recherche comme composition. Presses universitaires de Paris Nanterre. https://books.openedition.org/pupo/41931

Guattari, F. (1989). Les trois écologies. Galilée.

Krause, B. (2013). The Great Animal Orchestra : Finding the Origins of Music in the World’s Wild Places. Back Bay Books.

Perec, G. (1989). L’infra-ordinaire. Éd. du Seuil.

Schaeffer, P. (1967). La musique concrète. Presses universitaires de France.

Schafer, R. M. (2010). Le paysage sonore : Le monde comme musique (S. Gleize, Trad.). Éditions Wildproject.

Szendy, P. (2011). Ecoute, une histoire de nos oreilles. Editions de Minuit.

Truax, B. (1984). Acoustic communication. Ablex Pub. Corp.

UNESCO. (2003). Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. https://ich.unesco.org/fr/convention

Westerkamp, H. (2002). Linking soundscape composition and acoustic ecology. Organised Sound, 7(1), 51‑56. https://doi.org/10.1017/S1355771802001085